L’épreuve du deuil

Par le Dr. Michel Hanus, psychiatre-psychanalyste, président de l’association Vivre son Deuil

Une épreuve normale… et même nécessaire

Le deuil est une des plus grandes épreuves de la vie, source de grande douleur morale, de profond désespoir, d’anxiété, de dépression et de manifestations fonctionnelles variées. Dans la majorité des cas, aussi pénible soit-il, le deuil suit normalement son cours et arrive à son terme. Dans 5 % des cas, il provoque des complications au niveau de la santé physique, mentale, de l’équilibre psychologique et des relations sociales.

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Le deuil et son déroulement

Le deuil est l’ensemble des réactions physiques, psychologiques, affectives et comportementales à la perte d’une personne aimée, mais aussi d’un animal, d’un objet ou d’une valeur auxquels on est fortement attaché. Il est justement déterminé par la nécessité de modifier cet attachement du fait de la disparition. Chaque deuil est différent en raison de la relation unique qui unissait l’endeuillé à la personne disparue, mais tous suivent le même cours au travers de trois étapes :

• C’est d’abord le choc sur les plans émotionnel, physique, relationnel. Particulièrement net en cas d’accident ou de mort brutale ou inattendue, il existe aussi dans les maladies graves, à l’annonce du pronostic fatal à terme.

• Un état de dépression réactionnelle lui succède assez rapidement. C’est un authentique état dépressif, avec son atteinte habituellement modérée de l’état général, sous forme de troubles de l’appétit, de la sexualité et du sommeil, d’une intense fatigue et d’une souffrance profonde avec désintérêt pour le monde ambiant, des difficultés de fonctionnement et d’intenses inhibitions.

• Ce n’est que bien plus tard qu’apparaît le soulagement. La terminaison du deuil se manifeste dans l’élaboration de nouvelles entreprises et de la formation de nouveaux attachements.

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Signification psychologique du deuil

Le processus du deuil est l’expression manifeste des effets du travail psychologique inconscient qui s’effectue au travers de la souffrance et d’un mouvement de régression psychique. Il se fait essentiellement dans trois dimensions :

- La reconnaissance de la réalité de la perte. Elle n’est pas immédiate, car porteuse de détresse : la réaction de refus est normale et sera peu à peu dépassée, mais sans souffrance, il n’y a pas de deuil.

- Le renforcement des liens intérieurs avec la personne perdue. Toute la vie de la personne en deuil y est consacrée. C’est au travers de la reviviscence des souvenirs que s’effectue le nécessaire travail de détachement vis-à-vis de la personne disparue.

- La prise en compte des sentiments inconscients de culpabilité. Également nécessaire au cheminement du travail de deuil et responsable en partie de la douleur, elle est liée à la nature toujours ambivalente des attachements, même si nous refoulons les tendances hostiles qui ne manquent pas de les accompagner, au moins à certains moments.

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Le deuil peut-il s’aggraver ?

Le deuil peut se compliquer sur les plans physique, psychologique et comportemental :

- Plan physique : des complications peuvent survenir rapidement, mais elles sont souvent  différées au cours de la première année du deuil et parfois au-delà. Une maladie chronique préexistante peut se décompenser sous l’effet d’un deuil et de grandes enquêtes épidémiologiques ont montré une surmortalité significative, particulièrement chez les hommes d’un certain âge, chez qui on trouve aussi une surfréquence de suicides et d’accidents dans les suites du deuil. La santé physique des femmes est atteinte dans de bien moindres proportions, l’explication vraisemblable se trouvant dans le fait que les hommes, surtout les plus âgés, ne savent pas manifester leurs émotions douloureuses ; ils ont tendance à se renfermer, à transférer sur un excès de travail, un abus d’alcool ou de tabac.

- Plan de la santé mentale : l’endeuillé ne paraît pas souffrir, n’en montre rien, n’en parle pas, continue comme si de rien n’était. Ces absences apparentes de deuil sont très préoccupantes. Les autres complications sont constituées par l’échec des mouvements psychiques d’acceptation qui doivent normalement s’opérer.

- Plan du comportement : le deuil se complique essentiellement par la prise de risques pouvant conduire au suicide, à la mort par accident et par des ennuis d’importance variable.

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Les personnes plus exposées

Les personnes fragiles ou fragilisées temporairement, que ce soit sur le plan de la santé physique, de l’équilibre mental ou de l’insertion sociale, sont sujettes à ressentir plus durement les effets traumatisants du deuil. Les personnes âgées sont une autre population à risque : la solitude peut devenir facteur de dépression lorsqu’elle est trop importante et mal  supportée.

Les deuils, au grand âge, décompensent souvent les affections chroniques en cours et révèlent des perturbations somatiques bien tolérées jusque-là.

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Qu’en est-il des plus jeunes ?

Les enfants et les adolescents sont aussi des populations à risque qui méritent une attention toute particulière. La perte d’un parent par un enfant est un drame qui désorganise son monde intérieur et sa vie concrète. Son avenir dépendra de la capacité du parent survivant à faire normalement son deuil, à accompagner correctement celui de son enfant, de la possibilité pour ce dernier de pouvoir lier par la suite des relations affectives stables et harmonieuses avec un adulte qui deviendra peu à peu un parent de remplacement.

Les enfants endeuillés essaient souvent d’apporter du soulagement au parent qui reste. Mais leur manière de vivre leur souffrance ne se traduit pas, comme chez l’adulte, par un état dépressif : le caractère devient plus instable, on assiste à un fléchissement scolaire et des perturbations, habituellement modérées, du comportement, en particulier en matière de sommeil et d’alimentation.

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L’enfant et le travail de deuil

Le monde psychique en pleine évolution de l’enfance est bien particulier. Il est encore dominé par la toute-puissance, une très grande ambivalence dans ses attachements, la pensée magique qui fait fi des principes logiques et une connaissance encore insuffisante de la mort. Sa (re)connaissance de la réalité n’est pas établie. Son sentiment inconscient de culpabilité est beaucoup plus intense que celui de l’adulte, du fait qu’il est encore plongé dans une ambivalence extrême.

Si l’enfant n’a pas pu exprimer son chagrin et parler de son parent perdu autant qu’il le voulait, des complications surviennent longtemps après, dans le courant de la vie adulte.

Là aussi, elles s’expriment soit au niveau de la santé physique perturbée, par identification au parent perdu, soit au niveau du comportement marqué secrètement par l’échec, comme si le bonheur lui était interdit, soit enfin dans le domaine psychologique sous forme, le plus souvent, d’un état dépressif chronique de type névrotique sans raison apparente au moment où il survient.

“ Le temps, il est vrai, est le seul vrai consolateur ”

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Comment aider les endeuillés ?

Aider les personnes en deuil, c’est en premier lieu être avec elles ; mais ce qui est quasi instinctif dans les premiers moments devient beaucoup moins facile au bout de quelques semaines. Or, c’est justement entre le 2e et le 6e mois que l’endeuillé se sent le plus isolé. Il n’a pas envie de prendre l’initiative de contacts et attend qu’on vienne à lui.

Être avec une personne en deuil, c’est d’abord l’écouter. Les endeuillés passent par des états différents : tantôt ils ont envie de parler inlassablement de la personne perdue, tantôt ils restent silencieux. Les aider, c’est rester silencieux auprès d’eux. Cette attitude, à première vue si simple, est en réalité bien difficile : elle demande de rester à l’écoute, de façon non interventionniste, de résister à l’envie de consoler ou de faire quelque chose.

Être avec une personne en deuil, c’est aussi s’efforcer de prévenir ses besoins et ses désirs, c’est l’aider à s’occuper d’elle-même. Ce peut être aussi parfois la ramener à la réalité, à la nécessité de certaines tâches ou démarches.

L’endeuillé a besoin de pleurer la personne aimée aussi longtemps et intensément qu’il le faut, sans autre consolation qu’un contact physique, des bras, une épaule, un regard compatissant qui ne se détourne pas. Les paroles de consolation sont inutiles, voire déplacées. L’endeuillé ne veut pas être consolé : il se vit inconsolable. Une partie de lui s’en va avec son amour et son chagrin en fait partie. N’essayons pas maladroitement de l’atténuer en l’assurant qu’il diminuera avec le temps. Le temps, il est vrai, est le seul vrai consolateur du deuil, mais l’endeuillé récent ne veut pas encore l’entendre. C’est en parlant et en reparlant de la personne décédée que l’endeuillé vit peu à peu son chagrin, mais une partie en restera toujours secrète. Le deuil est une grande épreuve de solitude, même lorsqu’on est bien accompagné.


Le manque actuel de familiarité avec la mort, souvent la difficulté à surmonter les épreuves, donnent le sentiment d’être entré dans un état anormal. Il importe de comprendre la normalité et même la nécessité du deuil.


Mais que faire pour ceux qui ne pleurent pas, qui ne montrent rien, qui font comme si rien n’était arrivé ? Ces défenses sont en fait la moins mauvaise solution au moment donné. Essayer d’aider ces endeuillés récalcitrants, c’est encore être auprès d’eux, être avec eux et leur parler discrètement, pour autant qu’ils l’acceptent, de la personne disparue.

Au niveau des enfants, il est essentiel de les garder au sein de la famille au cours de la maladie, des derniers moments, de la mort, des funérailles, de l’enterrement et du deuil, au lieu de les en écarter, comme on a encore trop souvent tendance à le faire, sous des prétextes fallacieux et erronés. Mais ils vont faire l’objet d’une attention constante ; on doit leur parler et s’efforcer de répondre à leurs questions, et c’est tout naturellement qu’ils viendront, accompagnés, dire adieu au défunt, pour se construire des souvenirs de la personne disparue.

Il est également nécessaire de dire à l’enfant qu’il n’est pas responsable, car c’est toujours ce qu’il a tendance à penser ; qu’il n’est pas en danger de mourir lui aussi, car il pense que lui aussi peut être emporté par une maladie ou un accident ; qu’on va continuer à s’occuper de lui le mieux possible, car il sent bien que cette mort dans la famille va entraîner des changements importants dans sa vie ; qu’on va continuer à aimer la personne disparue et qu’on ne va pas l’oublier.

Il est bien rare que le parent restant, déjà si bouleversé par son propre deuil, soit en état de parler ainsi à son enfant. C’est alors le rôle de la famille, des grands-parents, des oncles et tantes de lui parler ainsi… A défaut, le médecin de famille parlera à l’enfant endeuillé et encouragera les proches à continuer de parler de la personne décédée et à exprimer ensemble leur chagrin, car l’enfant ne saurait le faire seul.

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Et lorsque le deuil est difficile ?

Il est facile de prévoir qu’un deuil sera difficile en raison de facteurs de risque, qu’ils viennent de la personne en deuil ou des circonstances de la mort, en particulier le suicide. Parfois, c’est après quelques semaines ou mois que l’entourage se rend compte que l’endeuillé est encore très abattu, qu’il a du mal à faire face. Dans ce cas, si la nature de la relation de l’endeuillé avec son médecin est suffisamment et positivement établie, le médecin est tout indiqué pour aider la personne. Autrement, et encore plus si l’endeuillé désire rencontrer d’autres personnes dans sa situation, le contact sera établi avec une association qui propose son aide (professionnels et bénévoles formés) par l’écoute téléphonique, des entretiens et des groupes de parole, les uns plus orientés vers l’entraide mutuelle, les autres vers le soutien psychologique.

Quant aux endeuillés devenus malades physiquement ou mentalement, ils doivent être orientés par leur médecin, par l’association ou par leur famille, vers un spécialiste.

Dr. Michel Hanus
Pour " Science de la Conscience " 
N°24

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